Deuxième rituel. Dancing in the dark. Une personne encagoulée entra lentement de la pièce, vêtue d'une longue toge noire. Son visage, caché, ne permettait même pas de savoir s'il était humain ou non, et le vêtement était trop large pour déterminer son sexe. Suspendu par les poignets au centre de la pièce vide, elle ne savait pas du tout où elle était. À ses pieds, au sol, son kidnappeur traçait avec un liquide rouge un cercle avec deux de ses doigts, puis une sorte d'étoile, et enfin, à certains endroits, des inscriptions étranges, illisibles, le tout en marmonnant des trucs bizarres. Elle essaya de lui parler de crier, de hurler, mais rien n'y changeait. Il ne réagissait même pas. La peinture malodorante se mit à luire doucement, et elle cessa tout bruit, ne comprenant pas ce qu'il se passait. Elle pâlit quand elle vit une étrange lame fine, brillante, sortir d'un pan de la robe de la personne. « Et que les ténèbres s'abattent ! » Elle n'eut pas le temps de crier quand la lame plongeant dans sa poitrine. Elle émit un affreux gargouillis, sentit quelque chose de chaud couler le long de son corps, et perdit progressivement la vue, avant de perdre la vie. Il avait mal dormi cette nuit. Ce n'était pas la faute au lit; au bout d'une semaine, il s'y était habitué. C'était autre chose. Et puis, Camille était tout rouge, au réveil, et évitait son regard... il l'intriguait. Pourtant, la veille, tout c'était bien passé. Il lui avait raconté une anecdote, et Agone s'était contenté de sourire et d'acquiescer aux bons moments. Il s'était même montré un peu réconfortant quand il avait évoqué sa peur du noir. Il faisait gris dehors, mais il ne pleuvait pas. Il pleuvait tellement souvent, qu'un jour de soleil était miraculeux. Agone ne croyait pas aux miracles. Aux malédictions, ça, il les vivait même quotidiennement. Et ce nouveau rituel ne lui plaisait pas du tout... C'était le même que le précédent, seules les écritures avaient changées. Le coup de couteau était, comme l'ancien, chirurgical. Droit au cœur, entre les côtes. Un médecin ? Peut-être. En tout cas, il savait maintenant que cela lui était très sûrement adressé. Il devait aller voir Los en tête en tête, et il n'aimait pas ça. Il se sentait toujours mal à l'aise, à peine entré dans l'immeuble. Il n'y avait qu'à suivre les traces magiques; troisième étage, deuxième porte. Celle-ci était encadré par des peintures magiques, que seuls ceux ayant déjà eu affaire à la mage ou aux démons pouvaient voir. Ces inscriptions étaient censées repousser les maléfices, mais Agone n'y croyait pas, du moins, pas assez. La porte s'ouvrit d'elle-même, et il pénétra dans cet appartement qui lui glaçait le sang. Il n'y avait qu'une pièce aménagée, le salon où traînait de tout. Déchets, livres, jaquettes de films, mégots de cigarettes et de cannabis. Il était là, allongé dans le lit, à demi-nu; jeune écureuil shaman à demi-conscient. Agone posa son pardessus usé au pied du lit, et retroussa ses manches. Ça sentait un mélange de renfermé, de tabac, et de diverses drogues, qui le rendait nauséeux. Les rideaux, comme toujours, étaient tirés, et les fenêtres fermées; les radiateurs coupés et la climatisation cassée depuis longtemps. Agone prit une chaise, et s'installa tranquillement devant Los, à un mètre de lui. Il s'alluma une cigarette; il savait qu'il était impossible de le sortir de son état de transe, même si depuis son arrivée, l'écureuil paraissait de plus en plus perturbé. Il remuait doucement, les yeux ouvert, vagabondant dans une dimension qu'Agone lui-même ignorait. Il se réveilla en sursaut, et en hurlant. Agone écrasa sa cigarette au sol; visiblement Los en faisait de même quand il était seul. « J'ai vu... _Le démon entrer chez toi ? Los, cette blague ne m'amuse plus, dit Agone en croisant les bras. Ce n'est que moi. Je vois que tu... Tiens la forme. _Cette blague-là ne m'amuse plus non plus, figure-toi. Je vois toujours ça, quand tu viens me rendre visite. Peut-être devrais-je ne plus jamais te laisser entrer; tu pourrais causer ma mort. » Il était maigre, pire qu'Agone. Lui aussi, dépendait de la magie, mais la drogue empirait son état. Les shamans n'étaient pas réputés pour leur longévité. Même sa voix était faible, à bout de souffle. Il se redressa rapidement, ne quittant pas Agone des yeux. « Mais tu reste un ami. _Los... Dit Agone en se redressant. Il y a eu un autre rituel, tu dois le savoir. _Oui. Il est sans précédent. _Tu as vu quoi ? _Les Ténèbres, Agone. » Il remarqua alors que Los tremblait, plus que d'habitude. Il était terrorisé. « Je peux voir dans le plus sombre abîme... Mais je n'ai vu que les ténèbres. » Agone fronça les sourcils. En effet, c'était très inhabituel... Il se leva, et se frotta la nuque, poussant au passage une canette de soda. « Tu t'es peut-être habitué à la drogue, et qu'elle fait moins d'effet... _Ne sois pas stupide ! Siffla Los avec le peu de forces qu'il avait. Je suis un shaman. La drogue me fera toujours le même effet. De même toi et tes innombrables tatouages. » Agone soupira. S'il avait vexé Los, il ne pourrait plus rien obtenir de lui. Il s'agenouilla au bord du lit, et lui prit sa main, limite cadavérique, elle ne pesait rien. Des os dans un sac en fourrure d'écureuil. « Je ne cherche qu'à comprendre, Los. Tu sais que tu es un ami. Et je sais que tu es le meilleur shaman du pays. _Peut-être le dernier... Dit-il, les larmes aux yeux. _Pourquoi ? _Je ne sens plus aucune trace de shaman dans le secteur. » Les shamans étaient très fraternels, à tel point que leurs relations sexuelles étaient rarissimes. Un lien les connectaient entre eux, que seuls eux pouvaient comprendre, sans pouvoir l'expliquer. Les plus puissants pouvaient même se rencontrer dans leur dimension shamanique. Agone s'accroupit contre le lit, et fit ce que normalement personne n'était autorisé. Il prit Los dans ses bras, et le laissa pleurer contre son épaule. Il était tellement mince qu'il avait peur de le briser. Il lui gratta doucement la nuque, fixant le mur. Sans Los, son boulot sera beaucoup plus difficile. Peut-être impossible. Une fois calmé, Agone se redressa, il avait mal aux genoux d'être resté si longtemps accroupi. Il prit son pardessus, pensif. Les Ténèbres, que même un shaman n'a pu percer... Il avait du fil à retordre. « Los, enfile des fringues décentes. Je vais t'amener manger quelque part. _La nourriture... _Je sais que tu ne vis que de nourriture spirituelle. Mais un peu de nourriture physique ne te fera pas de mal. Et puis, qui sait, tu pourrais apprécier. C'est moi qui offre, profite. » Quand elle se réveilla, en pleine nuit pour aller boire, le noir était total. Il faut dire qu'elle avait fermé les volets, et les rideaux, à cause de sa migraine. Elle avait fait un rêve étrange, très inquiétant. Pleins de monstres, pervers et violents. Elle compris que quelque chose n'allait pas quand elle percuta son armoire. Même à quelques centimètres, elle ne voyait rien. Elle se fit mal à l'œil en voulant les toucher; vérifier que ses paupières n'étaient pas collées. Elle se mit rapidement à paniquer, les bras tendus. Elle ne voulait pas perdre la vue à vingt ans ! Elle commença à crier, à appeler ses parents. « Papa... Je... Je suis aveugle ! » Les parents, se réveillèrent en sursaut. D'abord embrumé par le sommeil, ils tendirent l'oreille, lumières allumées. Quand ils comprirent que leur enfant étaient en danger, ils bondirent hors du lit, le père armé d'une batte de baseball qu'il cachait sous le lit; on n'est jamais trop prudent. Ils ouvrirent la porte, et ne virent rien d'autre que les Ténèbres. « Alors, ça vaut quoi...? Demanda Agone, la bouche à moitié pleine. _C'est... étrange. Ça ne vaut pas mes champignons. Et aucune valeur spirituelle. _ça s'appelle de la valeur nutritive. Tu tiendras plus longtemps avec ça, plutôt qu'avec les rares biscuits que tu bectes et tes champignons hallucinogènes. » Los regardait son hamburger avec un peu de dégoût, il n'y était pas habitué. Mais par respect pour Agone, il mangea tout, même les frites. Le soda, il connaissait déjà. Toute une vie dans la pure tradition shamanique... Il n'a pas dû se marrer tous les jours. Il se pétrifia soudainement, son grand verre en carton stoppé dans sa course vers ses lèvres. Il pâlit, et trembla. Agone fronça les sourcils, et s'adossa à sa chaise. « Los...? _Les Ténèbres... Elles sont là. » Il reposa lentement son verre, reprenant peu à peu le peu de couleurs qu'il avait. Il sortit un un crayon de sa veste déchirée, et nota frénétiquement une adresse sur une serviette en papier. Agone se pencha pour regarder; c'était à l'autre bout de la ville. Il mit alors le papier dans sa poche, sous le regard encore choqué de l'écureuil. « Je te ramène chez toi, Los. Je m'en occupe. Comme d'hab'. _Agone... Je... J'ai besoin de savoir pourquoi je ne vois plus rien. _Je ne pourrais pas veiller sur toi et sur moi. Tu sais que rien n'est jamais paisible, avec moi. _Je suis un shaman, Agone. Je saurais me débrouiller. _Tu es peut-être le dernier. » Sa dernière phrase fouetta l'air. Los se recroquevilla sur sa chaise, blessé. Agone soupira, il savait que ce n'était pas ce qu'il y avait de plus agréable à entendre, mais il ne voulait pas prendre ce risque. Et le vexer était la meilleure solution. Il alla donc payer leur repas, et Los le suivit, tête baissée, sans rien ajouter. Arrivé chez Los, il ne passa pas la porte d'entrée. Il risquait de l'insulter, lui, le « démon de ses rêves », s'il passait une porte imperméable à la magie. « Je... Je passe chez moi, me préparer mentalement et physiquement, et j'irais voir. » Los ne lui répondit pas. Il retira son haut, ses chaussures, son pantalon, se retrouvant comme à son habitude en caleçon. Il claqua ensuite la porte au nez d'Agone, sans même lui adresser un regard. Agone ne fit que hausser les épaules, allumer une cigarette et partir. Il ne pouvait pas se permettre de traîner, la nuit allait être longue et il n'avait pas de temps à perdre. Il était appuyé contre la fenêtre, les coudes sur la vitres, les mains derrière la tête; il avait retiré sa veste et son gilet. Il réfléchissait à ce qui l'attendait. Les Ténèbres. Une porte pour l'enfer ? Un démon particulièrement pudique. « Il y a un problème, Agone ? Demanda la voix innocente de Camille. » Il se redressa, et s'adossa à la fenêtre, bras croisés. « J'ai beaucoup de boulot. Je vais devoir sortir ce soir, affronter... L'inconnu. _C'est... Ce sera dangereux ? _Comme toujours, dit-il en souriant faiblement. » Il se redressa, et remit son gilet, puis sa veste, le regard vide. Camille le laissa passer, mais avant qu'il ne quitte le couloir, il le prit contre lui, et le serra fort, plein d'inquiétude. Agone, surpris, se laissa faire. Toute sa peau était tendre et souple, il s'enfonçait légèrement dans son ventre. Énorme peluche. Il se mit lentement à le serrer aussi, et soupira. « ça se passera bien. Ça s'est toujours bien passé, alors pourquoi pas maintenant, hein ? _Oui... Oui, tu as raison. Pardon, pardon Agone... Dit-il en le lâchant. Je... Je panique trop facilement, et puis... Je suis très tactile... » Il se mit à rougir, l'air embarrassé. S'il n'était pas sur le départ pour affronter une menace inconnue, il aurait pu trouver ça mignon et réconfortant, amusant aussi. Mais il n'y vit rien. « Je serais de retour très tard, peut-être même demain. Ne m'attend pas. _J'enregistre ton émission ? _Non, ne te fais pas cette peine. Tu sais que je ne la regarde pas plus que ça. _D'accord. Alors... Bonne chance ! » Il lui sourit, un agréable sourire sur sa bouille enfantine de renard en énorme surpoids. Agone lui rendit son sourire, puis, sans plus de cérémonie, partit. Il marcha bien deux heures avant d'arriver à la maison. Il y avait une présence terriblement mauvaise, qui le mettait mal à l'aise. S'il n'en avait pas l'habitude, il serait parti sur-le-champ, mais il franchit le portail en fer noir, qui grinça à en réveiller le peu de voisinage. Il traversa le petit jardin en suivant le chantier, quand sa tête se mit violemment à tourner, il perdait progressivement connaissance. Ce n'était pas la maison. Quelqu'un le possédait, malgré ses tatouages. Il tomba à genoux, serrant la terre entre ses griffes, à bout de souffle. Il commença à incanter un sortilège pour le libérer, quand une voix résonna dans sa tête. « Agone... C'est Los. _Sors de mon corps... Immédiatement ! Shaman ou pas, Si tu reste... _Rien ne pourra me faire changer d'avis, répondit la faible voix de Los. Si mon corps ne peut t'accompagner, alors une partie de mon âme te suivra. _Elle ne me suit pas, elle me possède. Sors de là ! _Non. Ne m'oblige pas à te contrôler. Tes tatouages ne te protègent que de la sorcellerie et des démons. Pas du shamanisme. » Agone soupira, il sentait que c'était peine perdue. Il se redressa lentement, et ajusta son pardessus ainsi que sa cravate. « Alors tâche de parler doucement et de ne pas m'entraver. Où je brise ton âme et je vais chez toi te cogner. Je déconne pas, mec. Shaman ou pas, je te casse la gueule. » Il ne sentit même plus sa présence, mais il savait qu'il était toujours là. Être accompagné par un shaman est normalement un honneur, et un signe de bonne chance. Mais il en avait, pour l'instant, rien à faire. Il avait horreur de la possession, ça allait au-delà du viol. Lui-même connaissait les incantations pour posséder quelqu'un, mais jamais il ne l'avait fait. Il prit sur lui, et reprit sa marche vers la maison. Il s'arrêta à quelques pas de la maison. Quelque chose ne collait pas. Il manquait un truc. Il sentait la frustration de Los, qui finit par lui demander ce qu'il se passait. « Les fenêtres. Elles sont ouvertes, mais aucune lumière. _Ils dorment peut-être. Ou ils sont possédés. _Je crois que je commence à piger la notion de Ténèbres. _Comment ça ? Je ne comprend pas. Explique-toi ! » Il sortit les mains de ses poches, les mains moites. Lentement, il dirigea sa main vers la poignée. Il voulait avoir tort, pour une fois. Le bas de sa colonne lui faisait mal, cette terrible aiguille. Il sentait la frustration et l'impatience de Los grimper en lui. Le partage des émotions était une vraie plaie. Il tourna la poignée, anormalement froide, et ouvrit la porte. Il sentit l'âme de Los se pétrifier de peur. Il n'y avait rien. Un noir totalement. On entendait quelque chose bouger, quelque part à l'intérieur. Un pleur féminin. Quelque chose tomber, puis un cri. « Agone... Qu'est-ce que c'est ? Je n'y comprend rien... _Les Ténèbres, Los. Les Ténèbres. » Il fit passer sa main à l'intérieur, et passé le palier de la porte, elle disparut dans le noir. Il ne sentait aucun changement d'air ou de température. Cela ne pouvait être qu'un sortilège... Mais il ne le connaissait pas. Sûrement à un niveau trop élevé pour lui. « Agone, j'ai peur. _Ce n'est pas toi qui pose un pied dans la tombe, alors tais-toi et laisse-moi bosser, Los. » Il inspira à fond, et entra intégralement dans le noir. Il se retourna pour voir la porte; il ne voyait rien. Il fit un pas en arrière, et retomba dehors. Il croisa les bras, déconcerté. Au vu des bruits dans la maison, les habitants y étaient toujours piégés. Mais ils étaient chez eux, ils auraient forcément pu trouver la sortie de mémoire. « Los... Les démons nocturnes, tu t'y connais ? _Je... Mes connaissances démoniaques sont loin d'égaler les tiennes. _Alors retourne dans ta dimension poser quelques questions. _J'y mobilise une autre partie de mon esprit. » Il était fou... Morceler ainsi son esprit était difficile et dangereux. Mais il n'avait pas le temps de le materner. Il devait entrer, comprendre ce qui n'allait pas, et les sauver. Il ne savait même pas combien ils étaient. Histoire d'en être sûr, il prit une petite lampe torche dans sa poche, et l'alluma. Elle n'éclaira absolument rien. L'ampoule brillait, mais il n'y avait aucun rayon de lumière. Il prit un instant pour réfléchir à la situation. C'était une situation désespéré, dans le noir. L'idée de s'y jeter sans réfléchir l'excita terriblement. Pour un peu, il en aurait une érection. Il eut un grand sourire, et avança, mains dans les poches, analysant le terrain du bout des pieds. Il entendit une voix masculine, demander d'une voix tremblante qui était là. Il s'y dirigea lentement. « Qui... Qui êtes-vous ? C'est... C'est vous qui m'avez perdu ! _Quoi ? » Il reçut un coup de poing, qui le fit tomber à la renverse. Sa mâchoire lui fit drôlement mal... « Qui a l'air d'un danseur, maintenant, hein ? Cria-t-il. _Papa ? Résonna au loin une voix. Papa, tu es où ? _Je suis... Agone. Votre seul moyen de sortir d'ici. Je suis venu vous chercher. » Il se releva péniblement. La perte de la vue était en fin de compte très déstabilisant. « Vous... Nous sauver ? _Oui. Pourquoi ne pas être sorti ? Vous connaissez le chemin. _Ces voix... Ils, ils me font douter ! Ils bougent les meubles... Ils m'ont entaillé avec un couteau ! J'ai tellement mal... Ma fille, ma femme... Je ne sais pas où elles sont ! _Personne d'autre dans la maison ? _Non, mon fils est... Mon fils est chez un ami. » Agone réfléchit un moment. Trois, ce ne serait pas compliqué. Mais avec des démons qui prennent le temps de jouer avec leur proie... Cela compliquerait nettement plus la tâche. D'autant plus qu'entre temps, il avait oublié le trajet accompli jusque là... Il sortit de sa poche une corde, longue d'une vingtaine de centimètres. Il en avait cinq ou six, au cas où, et en tendit une à l'homme, qui l'agrippa. « Fil d'Ariane, dit-il simplement avant de continuer ses recherches. » Finalement, le silence de Los lui gênait. Il essayait de lui parler, mais il ne répondait pas. La portion de son âme était devenue trop infime, il pouvait le sentir. Il était donc de nouveau seul. En voilà, un challenge excitant ! Quand il quitta la pièce, traînant le père, il commença à entendre d'inquiétants murmures. Elles sifflaient près de lui, il les sentait s'approcher et s'éloigner. S'il ne se trompait pas, ils étaient deux. Ils ne cessaient de le harceler. Etaient-elles par-ci, par-là ? À l'étage, au sous-sol ? Arrivera-t-il à trouver la sortie ? À tous les sortir ? Et il pouvait les entendre bousculer et pousser les meubles... Pourquoi n'attaquaient-ils donc pas ? « On les surnomme les danseurs, surgit la voix de Los dans sa tête. Ils plongent leur victimes dans les Ténèbres, près des portes de l'Enfer, et jouent avec leurs proies jusqu'à ce qu'elles deviennent folles. Ensuite... Ils les regardent se suicider. Le seul moyen de s'en sortir... Ce serait de les tuer, ou de trouver la sortie. _Merci, Los. Je t'avoue que j'y ai vaguement pensé, à un instant, à sortir. Et dis-moi, comment je pourrais les tuer ? _La lumière. Ils ne craignent que la lumière. » Agone resta un instant coupé dans son élan. La lumière... Il ne put s'empêcher de rire de l'ironie de la situation. Il sentit les démons se figer, tout près de lui. « Celui-là n'est pas normal... _Il sent le démon... _Mais il n'en est pas un... _Faisons-le danser... _Oh, oui, dansez... Dansez ! » Il les entendit se déplacer furtivement, leur pieds glissants au sol. Des Danseurs... Il dit au père de se dépêcher. Ces voix, dans le noir, leurs mouvements... Comment cette famille avait tenu le coup ? Lui-même commençait à perdre patience. « Il a trouvé la fille... _Impossible, il n'est pas normal... _Nous devons l'arrêter ! _Oh oui, dansons, dansons...! » Le soulagement de la jeune femme dans les bras de son père aura été de courte durée... Agone soupira, il sentait ce qui allait arriver. Un coup au menton le souleva dans les airs, et il tomba sur le dos, sonné. D'accord, il le savait, mais il ne pensait pas que ce serait aussi fort... Il gémit, et se releva péniblement. Il souffla, et se concentra sur le bruit. Il se détendit, et quand il entendit un bruit frappa le plus vite possible. Il entendit un danseur tomber en émettant un horrible cri aigu. C'était comme taper dans du béton... Comme il posa la main sur un meuble, il eut un sursaut. « On est dans la cuisine. Courez, partez, retrouvez votre chemin ! On est dans la cuisine ! » Il entendit des bruits de pas hésitants, des griffes frotter le longs des murs. « Vous voulez jouer ? Dis Agone en laissant tomber sa veste au sol. Je vais vous faire danser... _Cela faisait longtemps... _Oh oui... Un magicien ! _Un téméraire... _Un fou ! _Un maudit... Dit Agone en souriant. » Il frappa devant lui, pour entendre un nouveau cri. Un coup porté à son ventre le projeta en arrière, le souffle coupé. « Agone... Ils sont plus fort que toi ! S'exclama Los. Tu ne leur fait pas mal, tu ne fais que les amuser ! _Physiquement, peut-être. » Il se redressa, et retroussa ses manches avant de se prendre un nouveau coup au visage, qui le fit encore chuter. Il entendit alors un horrible cri féminin. Non... L'un d'entre eux était parti, et avait tué la mère ! Il sentait sa pauvre âme, apeurée, quitter son corps... Et Los le sentait aussi. Il hurla, provoquant chez Agone la sensation que tout son corps se brisait. « à son tour... _Oh oui, à son tour... _La chair corrompue ! » Il se prit un coup de pied au ventre, qui le fit gémir, et baver au sol. À bout de patience, il se redressa. Il se sentait furieux, aidé par l'âme de Los. « Mais spirituellement, personne ne m'égale ! » Il posa son index et son majeur sur une partie précise de son avant-bras, et l'auriculaire beaucoup plus bas. Il cria une phrase, puis une autre, ses mains commençaient à s'éclairer. Il attendit un instant, le temps d'entendre les Danseurs hurler de peur. « Roksha'r lam'rla ! » Il tendit brusquement les bras en avant, paume en avant, et la lumière jaillit de ses paumes, irradiant la pièce. Les Danseurs hurlèrent, un cri atroce, se débattant furieusement sur place. Ils prirent bientôt feu, propageant une odeur atroce de chair démoniaque brûlée. Les corps se réduisirent en cendres, tandis qu'Agone tombait à genoux, le dos et les avant-bras fumants. À bout de souffle, il vit la lumière de la cuisine clignoter, puis s'allumer, de même pour le couloir. « Tu... Tu as réussi ! S'exclama Los. _Encore... » Il se traîna jusqu'au mur, s'y adossa, et alluma une cigarette. Son dos fumait toujours, il se sentait complètement épuisé. « Agone... Tu.. Tu es maudit ? _Ouais. Je dois... Baiser, dans les six heures qui suivent, ou c'est la mort. _Même mes capacités shamaniques ne peuvent lever la malédiction... Comment cela s'est produit. _T'occupe. Laisse-moi cloper, tu veux. J'suis claqué. _Je t'appelle quelqu'un pour... Te... Enfin. Je te donnerais mentalement l'adresse. » Il soupira, le regard vide. Il avait l'impression d'être resté la journée dans le noir. Le père et la fille finirent par arriver, toujours aussi apeurés. Il entendit le père demander pour sa femme, mais Agone resta muet. Elle était morte. Il n'avait pas été assez efficace. Il avait mal partout, son tatouage dans le dos le brûlait. Le père, impatient, le frappa. Sa tête tourna; décidément il prenait cher. Cela lui aida néanmoins à reprendre conscience; il ramassa sa cigarette tombée sous l'impact du coup, et se redressa, finissant de la fumer. « Je suis arrivé trop tard pour elle, dit-il en ramassant sa veste. Son âme est coincée, quelque part dans les limbes, je dirais. _Et... Et vous ne pouvez rien faire ? _Non. » Il leur tourna le dos, se dirigeant vers la sortie, la veste sur l'épaule, tenue par deux doigts. C'était une chouette baraque, quand elle était éclairée. Il ne les entendit hurler et pleurer qu'une fois la porte franchie. Los s'était bien démené pour lui payer une pute. L'adresse n'était pas loin, et il fallait croire qu'il connaissait ses goûts : bien viril, grand, bien monté, un cul de rêve; un anthro, surtout. L'alcool qu'il avait dans le sang l'empêchait de réfléchir; il n'en avait de toute façon pas l'intention. Il retira sa veste, la laissant tomber dans un coin, repensant à ce qu'il s'était passé là-bas, une dizaine de rues plus loin. Il l'embrassa, lui caressant son torse sculpté dans du marbre. Un magnifique étalon, avec une queue parfaite. Il lui caressa le cul, ferme et souple. Il le griffa doucement, faisant grogner l'étalon. Agone grogna en retour, espérant faire passer le message. L'étalon lui sourit, l'embrassa, puis le plaqua contre le mur. « Tu l'aime comme ça, hein...? » Sa voix grave acheva de le faire bander. Il baissa son pantalon, puis son caleçon, dévoilant son membre canin dur comme fer. L'étalon eut un petit rire lubrique, plein de domination. Il retira son string qui depuis un moment ne cachait plus grand-chose, si ce n'est ses énormes couilles, et recouvrit sa queue de lubrifiant. Agone retira son gilet et sa cravate, et s'agrippa à sa nuque, léchant son torse et mordillant ses mamelons. Il avait un léger goût de sueur, qui excitait le magicien. L'étalon émit un petit grognement, puis souleva sans difficulté Agone par les cuisses, qui se maintint en forçant sur les épaules du prostitué parfait. Il lui mordilla l'oreille, puis lui murmura. « Défonce-moi le cul, j'attends que ça... » L'étalon eut de nouveau un petit rire, puis força sur l'orifice du magicien, qui déjà gémissait. Elle était gigantesque, mais il adorait ça. C'était toujours mieux, quand ça faisait mal. Et plus c'était gros, mieux c'était... L'étalon ne le ménagea pas, et le sodomisa brutalement ainsi, contre le mur, jouant constamment avec leur langue. C'était aussi douloureux que jouissif, Agone avait l'impression que sa propre queue bourdonnait de plaisir. Il ne se faisait pas souvent enculer, pourtant, il adorait ça, autant que le reste. Cette malédiction avait du bon, après tout. Il commençait à griffer doucement le dos de l'étalon, à force de sentir son énorme queue le ramoner. Il avait l'impression qu'elle gonflait... Oui, son gland gonflait. L'étalon se mit à grogner, à bout de souffle, et lui donna de plus profonds coups de reins. C'était tellement violent... Agone fit sauter à temps les boutons du bas de sa chemise pour se permettre d'éjaculer contre leur pelage sans tâcher le vêtement, tandis que l'étalon, agrippé à ses fesses, remplit le cul du magicien assoiffé de foutre. L'étalon l'embrassa une nouvelle fois, puis sortit, faisant gicler le sperme hors de l'orifice dilaté d'Agone. « Si seulement j'avais des clients aussi sympathique que toi... Dit-il. _Je ne suis pas sympathique. » Agone se redressa, fit craquer son dos. Il se sentait beaucoup mieux, avec l'intérieur élargi et tapissé de sperme. Il paya l'étalon, qui lui caressa la joue en guise d'ultime adieu. Agone soupira; il n'aurait pas la chance de le revoir de sitôt, c'était un sacré coup. Arrivé chez lui, les lumières étaient toujours allumées. Camille s'était endormir sur le vieux canapé, la télé était éteinte. Et il tenait une sacrée érection... Il se réveilla en sursaut, et rougit. « A... Agone..., dit-il en souriant timidement. _Je t'avais dis de pas m'attendre. _Tu te tiens bizarrement... _J'ai... Dû me battre. » Camille battit des paupières, et bâilla, avant de se lever et de partir dans la salle de bains. Agone ne se posa pas de questions, et accrocha au porte manteau sa veste, avant de faire bouger sa mâchoire. Entre les coups et l'étalon... Il avait passé une nuit musclée. Camille revint avec un tube d'arnica, et un grand sourire. « Tu te met torse nu ? » Agone lui sourit, et retira son gilet, sa cravate, puis sa chemise. Il dévoila alors les tatouages de ses avant-bras, celui qui prenait tout son pectoral gauche, et tout son dos, un immense cercle d'inscriptions étranges, et rempli d'autres inscriptions circulaires et de dessins, le tout noir. Camille rougit, un sourire gêné. « Tu as de beaux tatouages. Ils ont dû te faire mal. _En effet, dit-il en s'asseyant sur le canapé. _Tu es drôlement maigre... _Le travail me tient en forme. _Moi, c'est le manque de travail, qui me donne mes formes... » Un silence gêné passa, où Agone se laissait manipuler par Camille, malgré la douleur que cela lui procurait. « Agone... J'ai... J'ai rêvé que tu me faisais l'amour, cette nuit. J'ai vu chacun de tes tatouages. _Eh bien... Du moment que t'as passé une bonne nuit ! Dit-il en riant. » Il sentit la gêne de Camille se dissiper, laissant enfin place au calme. La lumière du salon se mit alors à clignoter, de plus en plus faible. Agone regarda l'ampoule, et se mit à sourire.